lecture Soeur Marie-Aimée moniale à l’abbaye de la Fille-Dieu à Romont
Edition de Cuisine de Saison du 04/07.
 

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Pour les hôtes de dernière minute, Soeur Marie-Aimée prépare volontiers une omelette ou des oeufs brouillés à la moutarde.

 

« La journée de Soeur Marie-Aimée a commencé bien avant l’aube, pour assister au premier office, des vigiles, à l’heure où la nature est pâle et frissonnante; belle comme l’architecture cistercienne de la Fille-Dieu, miraculeuse d’épure et de retenue, belle comme l’abbaye fraîchement restaurée, comme son cloître carré, avec ses colonnades, ses fresques en forme d’ébauches pastel.


Ora et labora, dit la règle de saint Benoît. Entre la prière et les sept offices, le labeur confié à cette jeune femme de 31 ans – haute silhouette surprenante de force, yeux gris-bleu de tempête et courtes mèches châtain rebelles au voile – est lourd. Nourrir, que dis-je: régaler, ravir, les vingt moniales de la Fille-Dieu, à Romont, mais aussi ses hôtes, familles ou proches, pèlerins ou touristes en mal de silence. Elle y met une énergie à soulever des montagnes, tout son coeur à l’ouvrage «et le Seigneur se charge du reste». Avec très peu à disposition, on réalise un festin pour ses convives, dit-elle en substance. Car la seule et vraie nourriture qui réjouisse le coeur de l’homme se résume à «aimer et se savoir aimé», poursuit la joliment nommée. «Cuisiner est aussi une façon de prier, pour moi.»


Tout à l’heure, les plats sont revenus vidés de leur contenu: du potage, des lasagne, végétariennes ou à la viande, de la salade et une soupe de cerises pour le dessert. Sœur Marie-Aimée n’a rien dit, mais chacune a senti combien cela lui faisait plaisir.


«Elle est si discrète que nous avons découvert son talent par hasard, un jour où elle remplaçait la soeur cuisinière», raconte Soeur Claire, la soeur cellérière. Et puis on ne parle pas, en communauté, ou si peu, et on ignorait ici que la jeune femme avait passé son enfance dans un café, avec des parents restaurateurs. Elle s’est montrée si efficace qu’on lui a confié la responsabilité de ce poste, l’automne dernier. Méticuleuse comme elle est, elle y veille souvent fort tard. Et c’est merveille de la voir œuvrer aux fourneaux, témoignent les bonnes soeurs. Les cisterciennes de la stricte observance ne sont pas autorisées à manger de la viande, sauf en cas de faiblesse particulière, mais Soeur Marie-Aimée leur concocte de petites merveilles multiples et variées: des soupes d’orties et des salades de pissenlit, qu’elle fait cueillir à la soeur jardinière, des lentilles à la moutarde maison ou des haricots à la sarriette pour la mère-abbesse. Et des pâtisseries, oh là là: imbattable, Marie-Aimée, pour réussir tartes et charlottes aux fruits, des crêpes pour la Chandeleur ou un (divin) gâteau aux noix.


«Je ne sais pas comment je fais, ni où je puise mes idées, je me laisse en quelque sorte porter», confie la douce jeune femme. Une grâce divine, sans doute: «C’est beau à voir, ce talent!», soupirent les soeurs, admiratives et gourmandes.


Un péché, la gourmandise? Pas de souci, à en croire Mère Marie-Claire: «Saint Benoît souligne combien il est important de bien manger pour y puiser des forces, un bon moral et de la gaieté.»



5 questions à Sœur Marie Aimée

Votre meilleur souvenir gourmand?
Ma première tarte à la rhubarbe: j’étais à l’école enfantine et la concierge m’en a offert une part. J’étais aussi touchée par sa gentillesse que par la délicatesse de la pâtisserie.


Le dernier plat que vous avez raté?
J’ai acheté de la cima di rapa par curiosité, et je l’ai fait cuire comme un brocoli, à la vapeur. Une horreur: ça s’est révélé complètement filandreux, avec une amertume terrible. J’ai essayé de la mixer, pour essayer de la rattraper en soupe, mais c’était de pire en pire: on aurait dit des tiges de plastique, avec des fils. Bref, ça a fini au compost et j’ai sorti des légumes du congélateur.


Votre plat préféré?
Les pâtes à la sauce tomate. Ou les tartes aux fruits.


Que faites-vous à manger si vous êtes seule?
Ça n’arrive jamais. Si j’étais seule, je ne ferais pas la cuisine.


Que faites-vous si quelqu’un débarque à l’improviste?
Nous hébergeons de plus en plus souvent des pèlerins qui font halte sur la route de Saint-Jacques de Compostelle. Pour ces imprévus ou les hôtes de dernière minute, nous avons toujours de la soupe, du pain et du fromage. Il m’arrive aussi de préparer des oeufs brouillés à la moutarde, une omelette, ou de sortir des légumes du congélateur.


Texte: Véronique Zbinden
Photo: Annette Fischer

Edition de Cuisine de Saison du 04/07.

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