lecture La vieille dame et le Noir
une histoire authentique rapportée par Lova Golovtchiner
publié dans "Sentinelles" no 59, avril 1986

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« Mon histoire certifiée authentique se passe dans le restaurant d’un grand magasin lausannois. Restaurant-cafétéria.
Une vieille dame est installée en face d’un grand bol de soupe fumante. Elle s’apprête à manger quand elle se rend compte qu’elle a oublié de prendre une cuillère. Elle se lève, se dirige vers les espèces de casiers à couverts, prend une cuillère et revient à sa place.
Stupeur ! En face d’elle, à sa table, il y a un Noir qui est gaillardement en train de s’attaquer au bol de soupe. A SON bol de soupe.
La vieille dame, stupéfaite, regarde le Noir, fixement, celui-ci continue imperturbablement de plonger sa cuillère dans le bol... Alors, hop !, ni une ni deux, la vieille dame plonge à son tour sa cuillère dans le bol (« faudrait beau voir qu’elle se fasse voler sa pitance par n’importe quel escogriffe... »).
Et c’est ainsi qu’une vieille dame et un Noir se partagent avec appétit, et sans échanger le moindre mot, un bol de soupe.
Ca ne fait pas long feu, un bol de soupe, quand il y a deux convives à se le diviser.
Fin du premier acte. Le Noir, toujours impassible, se lève, emporte le bol vide et va vers le comptoir. Deux minutes plus tard, il revient avec une assiette de spaghettis bolognaise et deux fourchettes. Sans dire un mot, il tend l’une des fourchettes à la vieille dame et la cérémonie du repas partagé reprend. A tour de rôle, avec vigueur et un appétit toujours intact, la vieille dame et le Noir font un sort définitif à l’assiette de pâtes. Toujours en silence, sans aucun clin d’œil complice, comme si de toute éternité ils avaient mangé dans la même et unique assiette.
Fin des spaghettis bolognaise!
La vieille dame et le Noir semblent repus. Ils restent là, face à face, enfermés dans leurs pensées, n’éprouvant aucune envie de rompre leur mutisme. Cela dure comme ça une ou deux minutes.
Et puis, tout à coup... le regard de la vieille dame quitte la table et son vis-à-vis, et se pose un peu plus loin dans le restaurant.
Un peu plus loin... oh... pas très loin! Juste à quelques mètres... sur une table voisine... où trône... tout seul... abandonné depuis un bon moment... un bol de soupe attendant une problématique cliente...

       Voilà. »

                 Lova Golovtchiner

Publié dans "Sentinelles" no 59, avril 1986 et no 177, décembre 2004

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