lecture Mère Abbesse
Article dans la revue "Construire" du 23 mai 1990
propos recueillis par François Berger

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Photo Erling Mandelmann

«Je suis entrée à 32 ans dans une vie de prière. Non par mépris du monde, mais par amour» dit Hortense Berthet, docteur en physique nucléaire et mère abbesse de l’abbaye de la Fille-Dieu à Romont
 

Mère Abbesse


Une cloche a sonné le lever des moniales à 3h20. Peu après débute l’office des vigiles, prémices d’une matinée ordinaire. Réunies dans le chœur de l’église pour la louange de Dieu, les sœurs chantent en français, en polyphonie suggérant le style byzantin. L’Ordre cistercien de la stricte observance auquel elles appartiennent s’enracine dans la tradition monastique de vie évangélique qui trouve son expression dans la Règle des monastères de saint Benoît de Nursie, rédigée en 540.

«Les heures qui précèdent le lever du soleil sont propices à la prière, à la méditation et à l’écoute de la Bible, souligne la mère abbesse. Une Bible que chaque sœur ouvre ensuite dans la solitude pour le temps de la lectio divina. Il est 5 heures. Les textes, qu’elle choisit librement, deviennent source de prière et moment privilégié pour parler cœur à cœur avec Dieu. Et si quelque sujet l’interpelle, elle prend son temps pour l’approfondir ou examiner son quotidien à la lumière de Dieu. La lectio divina permet d’être au contact de l’Évangile sans se soucier des activités matérielles qui jalonnent la journée et nous fait tendre à la prière continuelle.

Prière et liberté
« A l’extérieur du couvent, on imagine mal les larges plages de liberté dont disposent les soeurs. Nous ne marchons pas tel le troupeau de moutons de Panurge. La vie monastique est une école de liberté et de responsabilité dans les petits gestes comme dans les grands. C’est ainsi que le petit déjeuner est servi en libre service. Café au lait, pain, beurre, confiture, flocons, fruits sont à disposition, sauf en période de jeûne.
Dans ses écrits, saint Benoît professe un grand respect de la personne; il affirme que ce n’est pas sans quelque scrupule que l’on règle la nourriture d’autrui; chacun doit savoir que ses besoins seront respectés et que c’est à lui-même de les limiter. Aussi je n’interviens jamais pour quantifier la nourriture, sauf si j’estime qu’un jeûne n’est pas adapté aux forces d’une sœur.

« A 6h 45, nous prenons part à la prière de louange, les laudes. Un aumônier préside l’Eucharistie, sommet de notre journée et de notre communion dans le Christ. Par la participation au mystère pascal, nous sommes unies plus étroitement entre nous et avec l’Église. La communauté se retire ensuite dans la salle du chapitre. Je donne un bref enseignement théologique ou de connaissance des problèmes du monde, avant de laisser les sœurs vaquer selon leurs désirs.
 

Chaque samedi toutefois, nous vivons une heure de dialogue communautaire avec une discussion ouverte. A 9 heures, je conduis l’office de tierce, puis nous nous consacrons au travail : préparation du pain d’autel; tissage, entretien du linge d’église, activités à la ferme, tenue du jardin. Moi-même je règle les questions administratives réponds à un abondant courrier, reçois des visiteurs ou vais parfois voir les sœurs dans leur emploi.

« En fin de matinée, nous participons à l’office de sexte, avant de nous réunir pour le dîner. A la soupe, au riz et aux haricots de ce jour, s’ajoute ce que nous appelons un « soulagement » : du poisson, un œuf ou encore une friandise. Une lecture accompagne toujours le repas pris dans un silence total. Actuellement, nous découvrons La Cité de la joie de Dominique Lapierre! Sans négliger les textes de spiritualité, je choisis souvent des livres qui privilégient un aspect culturel. La convivialité de la table ne doit pas être seulement pure consommation. Il s’agit aussi de nourrir la dimension intellectuelle ou spirituelle de l’homme

« Promenade ou violon d’Ingres, office de none, travail, rythment l’après-midi. Mon enseignement préparé, je m’efforce de réserver l’essentiel de mon temps aux sœurs pour les accompagner dans leur cheminement spirituel. J’ai aussi pour fonction de résoudre les conflits qui surgissent entre les moniales. Lorsque l’on-vit toujours ensemble, on peut parfois trouver difficile de supporter sa voisine. Je trouve très sain d’être tenue au courant d’un différend pour que nous puissions ensemble lui trouver une solution.

« Récemment une sœur a exprimé le vœu de vivre dans une communauté cistercienne du tiers monde parce qu’elle estimait que son action était parmi nous insuffisante. Situation type qui exige une réflexion commune et pose les questions du fondement et du sens de la vie monastique.! Est-ce que nous nous soucions suffisamment des pauvres? Il convient alors de tenter de découvrir ce qu’est réellement la solidarité. Ma réponse ne peut se placer et se comprendre qu’en impliquant la notion de foi. La solidarité humaine s’exprime à différents niveaux. Celle que nous avons choisie, à laquelle nous sommes appelées, est d’ordre spirituel. Elle sous-tend pour nus la proximité et l’ouverture la plus grande possible avec le monde de Dieu. Je crois que la personne la plus utile ici-bas est celle qui est la plus ouverte à Dieu et lui présente l’état de notre monde: c’est là une mission d’intercession, qui débouche sur une réelle solidarité avec autrui. Une certitude qui a fourni le terreau propice à ma vocation!

Une autre vie
« En entrant à 32 ans dans l’Ordre cistercien, je laissais ce qui m’était très cher, pour un devenir qui m’était plus cher encore. Longtemps je m’étais demandé: « Que pourrais-tu faire d’utile pour aider les hommes de ce monde?» La dimension spirituelle de l’intercession, de la louange et de la conversion m’a paru essentielle et justifier à elle seule la vie cloîtrée. Certes, la solidarité humaine s’avère de toute évidence indispensable. Mais parIons clair! La grande affaire aujourd’hui, c’est de montrer à l’homme moderne que nous attend une autre vie qui se situe dans la Continuité de la nôtre. Les gens devraient davantage évoquer la mort, pour pouvoir parler de la vie éternelle et songer à là véritable humanité complètement renouvelée, ressuscitée.»

17 heures. Office des vêpres. Souper. Instants de liberté. Office des complies. A l’abbaye cistercienne de la Fille-Dieu de Romont, il est maintenant 19h 30, une journée ordinaire se termine. La mère abbesse prie en paix

Propos recueillis par François Berger

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